L’arthrite : une aventure pour laquelle on ne peut pas se préparer
Pour Jennifer, tout a commencé avec des mains qui se raidissaient le matin. Ensuite sont venus les picotements et les douleurs pulsatiles dans les orteils, les genoux et les doigts, des phénomènes assez étranges pour qu’on les remarque, mais assez mineurs pour qu’on les ignore.
Il y a eu ensuite une vague de fatigue accablante qui pouvait elle aussi s’expliquer. Jennifer était maman : elle devait se relever la nuit pour allaiter son bébé et ne dormait plus aussi bien qu’avant. C’était aussi Noël 2021, et Jennifer et son mari devaient élever leur fille dans l’isolement, sans soutien familial, et dans les affres d’une pandémie mondiale.
« Je pensais que j’étais censée être fatiguée », raconte-t-elle. « Je vivais beaucoup de hauts et de bas, je portais le stress du monde sur mes épaules et j’avais du mal à m’occuper de ma fille sans mon entourage. »
Jennifer a attendu quelques mois avant de contacter son médecin de famille, qui lui a alors dit qu’elle souffrait de dépression post-partum, mais elle savait que quelque chose d’autre se passait dans son corps et elle a demandé une analyse de sang.
« Les résultats étaient normaux, le taux de facteur rhumatoïde et le taux de CRP étaient normaux », explique-t-elle. « Il y avait bien des traces d’anticorps antinucléaires (test ANA), mais elles étaient trop faibles pour établir un diagnostic. »
Le médecin de Jennifer l’a ensuite dirigée vers un rhumatologue. D’autres analyses de sang ont alors révélé la présence du gène HLA-B27, un gène courant chez les personnes atteintes de certains types d’arthrite et de maladies inflammatoires. Une radiographie a également montré une inflammation dans les mains et, 10 mois après avoir éprouvé les premiers symptômes, Jennifer a appris qu’elle était atteinte de polyarthrite rhumatoïde.
« J’étais dans le déni le plus complet », raconte-t-elle. « Je me suis demandée ce que j’avais fait de mal. Personne ne mérite cette maladie. J’étais tellement choquée, car j’avais pris soin de ma santé toute ma vie. » Jennifer s’est demandée si elle ne se stressait pas trop, si elle ne poussait pas son corps trop loin ou si elle n’avait pas subi trop de traumatismes. Alors qu’elle était aux prises avec toutes ces inconnues et qu’elle souffrait maintenant d’une maladie chronique, Jennifer devait continuer à s’occuper de sa fille de 18 mois.
« J’avais du mal à suivre le rythme avec ma fille, mais j’étais aussi la personne qui s’occupait le plus d’elle », explique-t-elle. « Je n’arrêtais pas de penser que je voulais retourner au travail, mais mon corps ne me laissait pas faire. Et dans mon cas, mon corps est littéralement mon outil de travail. » En tant qu’artiste de la scène et directrice artistique, Jennifer avait un travail exigeant sur le plan physique qui impliquait de longues heures de répétition. Elle se demandait si elle serait en mesure de reprendre son travail un jour.
« J’étais en mode survie et toute mon énergie allait vers mon bébé. »
Sortir du brouillard
Pour tenter de maîtriser l’inflammation, le rhumatologue de Jennifer lui a prescrit de l’hydroxychloroquine, un antirhumatismal modificateur de la maladie. Quand cela n’était plus suffisant, elle a également pris de la sulfasalazine, un autre antirhumatismal modificateur de la maladie. Jennifer a également pris de la prednisone, mais les effets secondaires ont été difficiles à supporter.
« Prendre ces médicaments puissants m’effrayait, car je suis parfois très sensible aux médicaments, mais je voulais être courageuse », déclare-t-elle. « Cela a été assez difficile pendant les 6 premières semaines, mais je suis heureuse d’avoir choisi cette voie, car les médicaments m’ont donné l’espace dont j’avais besoin pour me sentir mieux, avoir plus d’énergie et reprendre le contrôle de ma vie. »
En juin 2023, Jennifer a finalement eu l’impression que ses médicaments faisaient vraiment effet. « C’était comme si on m’avait redonné vie, et en parler aujourd’hui me met les larmes aux yeux », raconte-t-elle. « Je suis tellement soulagée, car je ne suis plus en mode survie. »
Pas sortie du bois
Son inflammation étant maîtrisée, Jennifer a appris à vivre avec une maladie chronique. Elle a inscrit sa fille dans une école maternelle à temps partiel et elle a peu à peu recommencé à être plus active.
« J’avais besoin de prendre du temps pour digérer ce qui m’arrivait et trouver comment réintégrer le travail dans ma vie », explique-t-elle. « J’ai commencé par aller me promener, j’ai tenu un journal, je me suis mieux écoutée et j’ai lentement trouvé la façon la plus durable d’aller de l’avant. »
Jennifer commence maintenant à passer des auditions pour obtenir de nouveaux rôles et elle espère être une habituée d’une émission de télévision un jour. Elle veut continuer à créer ses propres pièces artistiques. « Être une artiste de la scène fait partie de mon identité, et cela m’a tellement manqué », déclare-t-elle. « C’est une véritable vocation. Je ne sais pas qui je serais si je ne jouais pas sur scène. Cela fait presque 3 ans que je ne travaille plus. Mon corps n’est plus ce qu’il était, mais je suis tout à fait prête à remonter sur les planches. »
Jennifer relance également sa carrière de directrice artistique : elle travaille avec d’autres artistes pour les aider à trouver leurs propres chemins créatifs. Elle a obtenu une nouvelle certification cet automne et elle travaille maintenant avec quelques clients. « Je m’intéresse vraiment aux personnes créatives qui transforment leurs rêves en réalité, peu importe les obstacles, et ce que je vis maintenant m’offre une nouvelle perspective. »
« J’ai appris qu’il est préférable d’avancer lentement mais sûrement lorsqu’on vit avec la polyarthrite rhumatoïde. » Jennifer admet qu’il existe un certain niveau d’incertitude qu’on doit accepter lorsqu’on vit avec l’arthrite. Les poussées, par exemple, augmentent cette incertitude, font ressortir l’inquiétude et peuvent entraîner une spirale négative en termes de santé mentale.
« Les poussées sont à la fois déprimantes et un élément déclencheur », explique-t-elle. « Mon cerveau peut s’embrouiller sans prévenir. Certains jours, je n’arrive même pas à mettre deux phrases bout à bout. » C’est à ce moment-là que Jennifer s’inquiète, se demandant en particulier quel rôle elle pourra jouer dans la vie de sa fille dans les années à venir.
« Le pire, c’est quand je regarde ma fille quand elle veut que je coure, que je saute avec elle ou qu’on fasse les folles, et que je ne peux pas. Je la regarde, et je suis triste et en colère. Et si c’était ma vie maintenant, une vie où je serai toujours à la traîne et où ma fille aura une mère qui sera tout le temps malade? Cela suscite tellement de chagrin en moi. Je me demande, à quoi va ressembler ma vie? »
Les poussées rappellent également à Jennifer l’époque où elle était en mode survie, en particulier ce premier été après le diagnostic, quand la famille a dû annuler tous ses projets de voyage parce que Jennifer ne pouvait pas supporter le stress d’être loin de chez elle ou de voyager longtemps en voiture ou en avion.
« Il y a toujours cette petite crainte sournoise en moi, où je me demande si je suis la meilleure mère pour mon enfant. Je sais que la plupart des parents y pensent de temps en temps, mais il y a un fardeau supplémentaire lorsque vous êtes un parent atteint d’une maladie chronique », souligne-t-elle. « Quand je ne suis pas attentive à cette crainte, elle se transforme en peur généralisée : est-ce que je devrais arrêter de faire les choses que j’aime faire, quel impact cela aura-t-il sur les autres, et ainsi de suite. Rien n’arrête la spirale. La polyarthrite rhumatoïde a un impact sur tout. »
Voir le bon côté des choses
Jennifer a appris à savourer pleinement les jours où tout va bien et à apprécier ce qu’elle a. Avec plus d’énergie, elle commence à faire plus de choses avec sa fille.
« Je veux ajouter ces activités supplémentaires que j’imaginais faire avec elle avant sa naissance. Des soirées à danser dans la cuisine, des parties de cache-cache, des spectacles de marionnettes, du ski, du camping… tous les moments précieux de l’enfance. »
Jennifer gère mieux son temps et se soucie moins de dire non ou d’annuler des projets. Elle donne la priorité au repos et travaille à mettre de côté sa personnalité de « type A ». Sa maison en désordre ne la dérange plus et elle ne se soucie plus de l’agitation du monde d’aujourd’hui.
« Super Jen n’a plus besoin de s’occuper de tout, et c’est très bien comme ça », plaisante-t-elle.
Il faut peut-être tout un village pour élever un enfant, mais il faut aussi tout un village pour aider quelqu’un à vivre avec une maladie chronique. Le mari de Jennifer est son meilleur ami et sa plus grande source de soutien.
« Je ne sais pas s’il comprendra pleinement tout ce que je vis un jour, mais il est toujours là pour moi quoi qu’il arrive », déclare-t-elle.
Jennifer recherche également le soutien de ses amis et de sa famille, ainsi que celui d’autres personnes sur les réseaux sociaux qui vivent aussi avec la polyarthrite rhumatoïde. Plus que tout, elle veut que les autres personnes qui souffrent d’arthrite inflammatoire sachent que leur état peut s’améliorer.
« Je n’ai pas de boule de cristal pour voir mon avenir, mais il y a beaucoup de médicaments, de ressources et de personnes compétentes dans le monde qui travaillent fort pour aider des gens comme moi à bien vivre avec l’arthrite. »
Crédit photos: (gauche à droite): Jennifer Pielak, Jon Major, Jennifer Pielak, Jennifer Pielak
Le cadeau de la recherche sur l’arthrite
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